23/03/2008

Old Joy > un flim pour deltiologistes inrockuptibles


"Pour un prisonnier ou un aveugle, le temps s'écoule comme de l'eau sur une pente douce." < Jorge Luis Borges

Kelly Reichardt, 2006

Un double portrait pour illustrer le temps qui passe. Une dernière promenade. Un silence encore complice. Le deuxième film de l’Américaine Kelly Reichardt avait tout pour effrayer, tellement il aurait pu s’enfoncer dans un nombrilisme indie revendiqué. Qu’on en juge : Will Oldham, le désormais culte fondateur de Palace, tient l’un des rôles principaux de ce film produit par Todd Haynes, sur une musique de Yo La Tengo, et réalisé par une ancienne directrice artistique de Hal Hartley. La famille est ainsi posée. Ce film vient des States faussement profonds, de l’esprit folk lo-fi de l’Amérique adulée par la branchitude européenne, et cela aurait presque suffi à le renvoyer siroter une bière dans un bar chicagoan à écouter Tortoise et consorts. Et pourtant la magie opère. Il faut oublier ce que l’on sait de cette famille pour apprécier le film pour ce qu’il est : un film de cinéma, héritier forcé d’une certaine tradition musicale, mais du cinéma libéré, et libre de nous raconter à sa manière les mêmes histoires que celles gravées sur microsillon dans la chambre à côté. Mark et Kurt sont trentenaires. Mark va bientôt être père. Son ami Kurt reste lui enfermé dans sa jeunesse. Ils vont se retrouver le temps d’un week-end, le temps d’une promenade dans les forêts de l’Oregon. Et puis se dire adieu. Et c’est tout. Old Joy ne dépasse pas 1h15, mais contient en lui les sentiments de toute une vie, les tourments intimes de toute une jeunesse. Les deux amis vont s’apercevoir qu’ils ne pourront plus soulever ce fin rideau de tulle qui s’installe irrémédiablement entre eux, entre leurs vies qui partent dans deux directions opposées. Et chacun en est conscient à sa manière, et de cette conscience-là naissent tous les bruits du film qui en dévoilent le silence. Non pas un silence de mort, de disparition, mais le silence vivant de la poussée des grands arbres. Le silence vivant du moteur de la vieille Volvo de Mark quand ils roulent dans la nuit noire. Le silence vivant goutte à goutte des sources d’eau chaude de Bagby. Il y a comme une gêne dans ce silence, mais les deux amis semblent aussi apaisés de pouvoir franchir ce cap ensemble, de pouvoir vivre ensemble cette séparation symbolique. La nature intervient ici pour absorber les conflits qui pourraient naître entre eux. Chacun d’eux est désormais prisonnier des rails sur lesquels sa vie est lancée : Mark va avoir un enfant, écoute des émissions politiques à la radio, et téléphone à sa compagne sans rien avoir à lui dire ; Kurt traîne sans but précis, part voir des amis ici et là, fume du shit pour meubler le vide. Les deux amis sont condamnés : ils le savent, et l’acceptent ensemble, sans mot dire, dans l’ombre protectrice de la forêt. C’est un road-movie sans retour filmé avec une élégance et une délicatesse magnifiques. C’est un film de famille fait de détails infimes. De brindilles qui craquent. D’un feu de bois improvisé. Le titre du film, Old Joy, apparaît au début, puis à la fin. Il nous enserre comme une porte, ouverte puis fermée sur l’amitié qui s’évapore. Sur le rêve diffus d’une complicité éternelle.

Okkervil River A Forest (à prendre ou à laisser)


Raccoo-Oo-Oon In The Woods (à prendre ou à laisser)


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